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Prise en charge contemporaine de l’insuffisance cardiaque dans le monde réel

Par PAUL DORIAN, M.D, M.Sc., FRCPC

Trois importants essais cliniques randomisés ont comparé la warfarine pour prévenir l’accident vasculaire cérébral (AVC) dans la fibrillation auriculaire (FA) aux nouveaux anticoagulants oraux (NACO) – le dabigatran[1], le rivaroxaban[2] et l’apixaban[3] – et un quatrième essai important sur l’édoxaban[4] a été récemment publié. Tous ces NACO sont soit supérieurs à la warfarine (dabigatran 150 mg bid et apixaban) soit non inférieurs (rivaroxaban, édoxaban et dabigatran 110 mg bid) pour réduire la prévalence de l’AVC. Ils sont tous associés à une réduction significative des hémorragies intracrâniennes comparativement à la warfarine à dose ajustée et sont soit non inférieurs à la warfarine pour ce qui est des hémorragies majeures (dabigatran 150 mg bid et rivaroxaban) soit ils entraînent une réduction significative des hémorragies majeures (dabigatran 110 mg bid, édoxaban et apixaban). Les lignes directrices canadiennes et internationales sur la prise en charge de la FA[5,6] ont incorporé ces agents dans leurs recommandations et les lignes directrices canadiennes recommandent l’un des nouveaux agents de préférence à la warfarine pour la plupart des patients atteints de FA présentant un risque modéré ou élevé d’AVC[5]. Bien que ces agents représentent un progrès, ils sont relativement nouveaux et leur incorporation dans la pratique clinique routinière est progressive et incomplète. De nombreux praticiens sont en proie à des incertitudes quant à l’utilisation de ces nouveaux agents et se posent de nombreuses questions sur les risques qu’ils entraînent, les avantages qu’ils offrent et leur utilisation optimale. Le présent numéro de Cardiologie – Conférences scientifiques regroupe une petite série de questions fréquemment posées dans le cadre des séances de formation médicale continue, des ateliers, des symposiums et des conversations sur la prévention des AVC.

 

À la lumière des données issues d’essais à grande échelle démontrant l’efficacité et l’innocuité des nouveaux anticoagulants oraux (NACO), ces médicaments offrent un avantage supplémentaire, à savoir leur simplicité d’administration comparativement à la warfarine : une surveillance routinière de l’effet anticoagulant n’est pas nécessaire et ils n’entraînent pas d’interactions avec des aliments et peu d’interactions pharmacocinétiques avec d’autres médicaments. Cependant, les praticiens doivent encore se familiariser avec la pharmacologie de ces nouveaux médicaments et avec les stratégies à adopter pour comprendre et gérer la complexité de leur utilisation.

 

1) Dans quelle mesure les classifications adoptées pour la prédiction des risques d’AVC sont-elles
    appropriées (p. ex. CHADS2 ou CHA2DS2-VASc)?

 

Il est essentiel d’identifier précisément les patients présentant un risque relativement élevé d’AVC, afin qu’une thérapie anticoagulante puisse être administrée à ceux exposés au risque le plus élevé, tout en évitant l’administration d’anticoagulants chez les patients présentant un risque minimal.

 

Les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie (SCC) entre autres recommandent une anticoagulation systémique pour la majorité des patients atteints de fibrillation auriculaire (FA)[5]. Le système de stratification des risques CHA2DS2-VASc[7] attribue un point pour chacun des paramètres suivants : âge ≥ 65 ans, sexe féminin et maladies vasculaires en plus des facteurs de risque CHADS2 bien connus (insuffisance cardiaque congestive, hypertension, âge ≥ 75 ans, diabète et antécédents d’AVC/d’accident ischémique transitoire [2 points])[8]. La vaste majorité (≥ 80 %) des patients atteints de FA seront âgés de plus de 65 ans – l’âge est le deuxième stratificateur de risque le plus important, après les antécédents d’AVC – ou présenteront ≥ 1 facteur de risque clinique associé au risque d’AVC, tels que l’hypertension, le diabète, l’insuffisance cardiaque, les maladies vasculaires ou le sexe féminin. Par conséquent, une approche simple pour classifier le risque d’AVC consiste à utiliser l’âge tout d’abord, étant donné que presque tous les patients âgés de plus de 65 ans présentent un risque annuel d’AVC ≥ 2 %. Chez ces patients, l’avantage conféré par la prévention de l’AVC l’emporte sur le risque d’une hémorragie menaçant la vie ou mortelle. Des études récentes ont confirmé que les patients âgés de 65 à 75 ans présentent un risque d’AVC environ deux fois plus élevé que les patients âgés de moins de 65 ans. Bien que l’avantage absolu d’une réduction du risque d’AVC chez les patients âgés de 65 à 75 ans puisse être considéré comme étant relativement faible, ces patients plus jeunes présentent un très faible risque d’hémorragie grave lorsqu’ils prennent les nouveaux anticoagulants systémiques, et l’avantage de l’anticoagulation avec les nouveaux anticoagulants oraux l’emporte encore sur le risque d’hémorragie.

 

Les deux classifications du risque, à savoir le score CHADS2 et le score CHA2DS2-VASc sont utiles pour classifier les patients en leur attribuant un gradient de risque d’AVC. Plusieurs articles et études récents ont confirmé que le score CHA2DS2-VASc est un prédicteur d’AVC plus sensible que le score CHADS2[9-12]. Les auteurs de l’étude du registre AFNET (German Competence Network on Atrial Fibrillation ; N = 8847)[13] ont constaté que plus d’un tiers des AVC et des événements thromboemboliques (145 sur 403 événements) pendant une période de suivi de cinq ans est survenu chez des patients dont les scores CHADS2 étaient ≤ 1 point; i.e. une anticoagulation orale n’est pas recommandée de façon définitive. En utilisant le système de scores CHA2DS2-VASc, 54 % de ces patients ont été reclassifiés [≥ 2 points], afin que le risque qu’ils présentent soient suffisamment élevé pour justifier une anticoagulation. Les lignes directrices 2012 de la SCC5 notent que le plus grand avantage du score CHA2DS2-VASc est l’identification des patients atteints de FA présentant un risque réellement faible – 8,5 % des patients atteints de FA présentent un score CHA2DS2-VASc de 0 et un risque annuel moyen d’AVC de ≤ 0,5 %[14,15] – qui nécessitent rarement un traitement antithrombotique.

 

Dans une étude de patients atteints de FA et traités avec des agents antiplaquettaires, les patients sous acide acétylsalicylique (AAS) dont les scores CHADS2 et CHA2DS2-VASc étaient de 1 présentaient un très faible risque d’AVC (1,1 %/an), alors que ceux ayant un score CHADS2 de 1 et un score CHA2DS2-VASc de 2 présentaient un risque plus de deux fois plus élevé (2,3 %/an)[16]. Les patients présentant un très faible risque ayant un score CHA2DS2-VASc de 1 (ainsi qu’un score CHADS2 de 1) étaient principalement des hommes âgés < 65 ans souffrant d’hypertension (87 %), d’insuffisance cardiaque (8 %) ou de diabète sucré (4 %) et ceux ayant un score CHA2DS2-VASc de 2 étaient principalement âgés de 65 à 75 ans et étaient des femmes ou présentaient un autre facteur de risque. Les prédicteurs significatifs de risque dans cette cohorte présentant généralement un faible risque étaient l’âge > 65 ans ou le sexe féminin.

 

2) L’avantage absolu de l’anticoagulation chez les patients à relativement faible risque n’est-il pas faible?

 

Bien qu’il soit vrai que chez de nombreux patients atteints de FA présentant un faible risque, le risque annuel d’AVC est d’environ 2 %, comparativement à un risque moyen d’environ 5 % pour tous les patients atteints de FA, il est important de noter que ce risque est cumulatif. Il n’existe pas d’études appropriées à très long terme qui analysent des paramètres tels que le risque d’AVC à 10 ans chez des patients âgés > 65 ans présentant généralement un faible risque (CHADS2 = 1). Cependant, on a observé que ces patients présentent un risque cumulatif à cinq ans de 10 % s’ils sont traités avec de l’AAS uniquement. Le dabigatran, par exemple, est associé à une réduction estimée du risque (extrapolé) de 70 % par rapport à l’AAS chez ces patients[17]. À cela s’ajoute une réduction absolue estimée de 8 % du taux d’AVC et d’embolie systémique par rapport à l’AAS au cours d’une période prolongée de cinq ans, et même d’un taux supérieur au cours d’une plus longue période. Pour l’apixaban, on a noté une réduction du risque de 55 % d’AVC et d’embolie systémique par rapport à l’AAS lorsque les deux médicaments étaient comparés directement dans l’étude AVERROES[18]. Des données similaires pour le rivaroxaban ne sont pas disponibles, mais le calcul devrait concorder avec ses effets comparativement à la warfarine. De même, la réduction du risque avec un NACO par rapport à la warfarine est probablement cumulative, sans même tenir compte du taux accru d’arrêt de la warfarine par rapport aux NACO. Par exemple, les chercheurs de l’étude RE-LY1 ont établi que le dabigatran 150 mg bid a réduit de 34 % le risque d’AVC par rapport à la warfarine, une réduction absolue de 0,58 % par an. Ainsi, en adoptant une perspective à long terme, la réduction absolue du risque avec les nouveaux anticoagulants par rapport à la warfarine et en particulier par rapport à l’AAS ou l’absence d’anticoagulation, est suffisamment importante pour justifier un traitement.

 

3) Dans quelle situation devrais-je envisager d’utiliser un NACO?

 

Le rapport risque-bénéfice d’un NACO est probablement le plus élevé chez les patients présentant un risque modéré ou élevé d’AVC qui ne reçoivent pas d’anticoagulant. En plus des avantages offerts par les NACO par rapport à la warfarine chez tous les patients, les quelques premiers mois du traitement avec la warfarine sont associés à un risque considérablement plus élevé de complications hémorragiques que celui observé chez les patients sous traitement à long terme[19,20]. L’initiation d’un traitement avec la warfarine n’est pas simple et nécessite des analyses sanguines fréquentes et des ajustements posologiques, et il est davantage possible que le patient reçoive une anticoagulation insuffisante ou excessive jusqu’à l’établissement d’un schéma posologique stable. En revanche, les NACO ont un effet presque immédiat après la première dose, et l’on a noté des concentrations sanguines et un effet stables dans un délai de deux à trois jours.

 

Les patients qui reçoivent de la warfarine mais chez qui le maintien d’un rapport international normalisé (INR) dans la gamme thérapeutique est difficile représentent une deuxième catégorie importante. Des normes arbitraires, mais couramment acceptées, suggèrent que l’on obtient une anticoagulation optimale avec la warfarine uniquement lorsque le temps dans la gamme thérapeutique (TTR) est > 65 %. Les patients peuvent avoir des difficultés à se conformer à la nécessité de subir régulièrement des analyses sanguines, d’observer un régime alimentaire avec un apport relativement stable d’aliments contenant de la vitamine K ou avoir un INR variable malgré une surveillance étroite. Les praticiens devraient suivre étroitement la tendance de l’INR dans le temps et ne pas se fonder uniquement sur l’INR le plus récent pour déterminer si la warfarine a un effet optimal chez leurs patients. Certains patients auront un INR stable avec un TTR > 65 % et peuvent se conformer sans difficulté à la nécessité d’une surveillance des effets de la warfarine. Chez ces patients, on s’accorde à dire que le passage à un nouvel anticoagulant oral n’est pas essentiel, mais peut être envisagé. Il semble raisonnable d’informer les patients de la disponibilité des NACO et d’orienter sa stratégie en fonction des valeurs et des préférences des patients.

 

4) Les nouveaux agents sont-ils réellement supérieurs à la warfarine?

 

Tous les NACO offrent des avantages par rapport à la warfarine en raison de l’une ou de plusieurs des raisons suivantes : un risque significativement réduit d’AVC, un risque réduit d’hémorragie menaçant la vie ou intracrânienne et la simplicité de son administration, l’absence de risques et la non-nécessité d’une surveillance régulière de l’efficacité thérapeutique comme l’exige la warfarine et les fluctuations souvent imprévisibles de son effet thérapeutique (qui se manifestent par un INR fluctuant). Certains agents et certaines doses offrent des avantages additionnels particuliers (Tableau 1), tels qu’une réduction significative spécifiquement de l’AVC ischémique (dabigatran 150 mg bid)[1], une réduction significative des hémorragies majeures (dabigatran 110 mg bid et apixaban 5 mg bid)[1,3] et une réduction statistiquement significative de la mortalité toutes causes (apixaban 5 mg bid)[3]. Il est à noter que chaque NACO réduit dans la même proportion la mortalité toutes causes : le dabigatran 150 mg bid de 12 %, le rivaroxaban 20 mg qd de 8 % et l’apixaban 5 mg bid de 11 %. Cependant, seule la dernière réduction était statistiquement significative[1,3].

Tableau 1 : Résultats des importants essais cliniques des nouveaux anticoagulants oraux (NACO) contre la warfarine chez les patients atteints de fibrillation auriculaire

Figure 1 : Effet du temps dans la gamme thérapeutique (TTR) sur le risque cumulatif d’AVC chez les patients traités avec la warfarine ou le clopidogrel et l’acide acétylsalicylique (C+A)[9]

Bien que l’on ait beaucoup parlé de l’avantage non réalisé de la warfarine dans un contexte étroitement contrôlé (p. ex. une clinique des anticoagulants, des systèmes perfectionnés de soins qui permettent le suivi étroit des patients et une auto-surveillance des patients), il existe de nombreuses données indiquant que l’utilisation de la warfarine dans le « monde réel » est difficile pour les patients et les fournisseurs de soins, de même que le maintien d’un niveau stable et efficace d’anticoagulation et la persistance du traitement dans le temps[20-22].

 

Il existe de nombreuses données d’essais cliniques et d’études observationnelles indiquant que la warfarine est relativement inefficace si l’INR ne peut être maintenu dans la gamme thérapeutique pendant au moins environ 65 % du temps. Dans une sous-étude de l’essai ACTIVE W[21], les patients ayant un INR bien contrôlé (i.e. TTR > 65 %) présentaient un taux d’AVC significativement moins élevé que les patients traités avec une association d’AAS et de clopidogrel. Inversement, chez les 50 % de patients chez qui le TTR était < 65 %, les taux d’AVC étaient équivalents avec la warfarine vs les deux agents antiplaquettaires (Figure 1)[23].

5) Les NACO ne sont disponibles que depuis une périoderelativement courte.
    Comment puis-je être sûr qu’ils sont supérieurs à la warfarine?

 

Il existe de nouvelles données sur l’issue des patients traités avec les NACO et la warfarine dans les pratiques communautaires, après la publication des essais cliniques clés mentionnés ci-dessus. En utilisant le programme Mini-Sentinel de la Food and Drug Administration américaine, Southworth et ses collègues[24] ont comparé des patients ayant reçu une récente prescription de dabigatran ou de warfarine. Le nombre d’événements hémorragiques gastro-intestinaux pour 100 000 jours à risque chez les patients traités avec la warfarine était de 3,5 comparativement à 1,6 avec le dabigatran; les taux respectifs d’hémorragie intracrânienne étaient de 2,4 pour 100 000 jours à risque avec la warfarine vs 0,8 pour 100 000 jours à risque avec le dabigatran. Ces taux d’événements sont très similaires à ceux observés dans l’essai clinique randomisé sur la warfarine vs le dabigatran.

 

Dans une importante cohorte danoise composée de patients suivis au moyen de bases de données administratives[25], les résultats obtenus avec la warfarine et le dabigatran 150 mg ou 110 mg bid étaient similaires à ceux observés dans les essais cliniques importants, avec une réduction des hémorragies intracrâniennes aux deux doses, des taux d’hémorragie majeure légèrement mais non significativement réduits aux deux doses en ce qui concerne la warfarine, et une réduction du taux d’hospitalisation aux deux doses (toutes les comparaisons ont été ajustées en fonction des comorbidités).

 

Les taux d’arrêt du traitement pour la warfarine étaient ≥ 50 % un à deux ans après son initiation, dans les pratiques communautaires[26]. Une étude récente menée par Zalesak et ses collaborateurs[22] examinant les facteurs associés à l’arrêt de la warfarine chez des patients atteints de FA a révélé un taux d’arrêt de 44 % pour la warfarine vs 26 % pour le dabigatran, chez 1775 et 3370 patients appariés en fonction de leur propension à arrêter leur traitement, respectivement. Les patients présentant un risque faible ou modéré d’AVC (CHADS2 < 2) étaient moins persistants que les patients présentant un risque plus élevé d’AVC pour les deux cohortes de traitement. Il n’existe pas de données de phase IV similaires pour le rivaroxaban ou l’apixaban.

 

6) Lorsqu’un patient est sous warfarine, je connais exactement l’état de l’anticoagulation.
    Comment puis-je être sûr que le NACO est efficace?

Les médecins sont préoccupés par le fait qu’il est difficile de déterminer le degré d’anticoagulation chez les patients recevant un NACO. Les données accumulées provenant d’essais cliniques et de la pharmacovigilance post-marketing suggèrent que les NACO sont aussi sûrs ou même plus sûrs que la warfarine bien que dans ces études, l’état de l’anticoagulation n’ait pas été cliniquement surveillé. Le rôle de la surveillance thérapeutique pour les NACO, de préférence avec le test de dosage des inhibiteurs directs de la thrombine HEMOCLOT pour le dabigatran[27] ou un test de dosage du facteur Xa pour l’apixaban ou le rivaroxaban6 évolue, mais n’est pas encore clair. Pour le dabigatran, le test du temps de thromboplastine partielle activée (aPTT) largement disponible est un indicateur approximatif de l’état de l’anticoagulation avec le dabigatran. Si l’aPTT est proche des valeurs de référence (généralement moins de 37-38 secondes), il est probable qu’il n’y a pas d’effet anticoagulant résiduel. Si l’aPTT est > 2,0 fois la valeur de référence (i.e. ≥ 80 secondes), il est alors probable qu’il y a un effet anticoagulant excessif. L’aPTT peut être utile pour évaluer l’innocuité potentielle d’interventions chirurgicales (afin d’assurer qu’il n’y a pas d’effet anticoagulant résiduel), ou pour évaluer la possibilité d’un effet excessif du médicament (dans les cas d’hémorragie mineure). Le consensus actuel indique que la mesure routinière de l’effet anticoagulant des NACO est inutile pour un usage clinique sans danger.

 

7) Les NACO n’ont pas d’antidote. Dans quelle mesure est-ce un problème?

 

Bien qu’en théorie il soit clairement préférable de bénéficier d’un agent qui puisse facilement inverser l’effet anticoagulant, dans la pratique il n’existe pas de preuve flagrante que la disponibilité d’un « antidote » puisse réduire la mortalité ou la morbidité sévère due à une hémorragie majeure. Dans le cas de la warfarine, le besoin d’une transfusion peut être réduit[28]. Malheureusement, dans les cas d’hémorragie menaçant la vie et en particulier d’hémorragie intracrânienne, la disponibilité d’un « antidote » spécifique de la warfarine (i.e. concentré de quatre facteurs protéines) n’a pas réduit la morbidité ou la mortalité, probablement en raison du délai nécessaire pour administrer cet agent[29]. Un autre facteur raisonnable de risque potentiel associé à l’absence d’antidote est la probabilité de décès s’il se produit effectivement une hémorragie majeure. Dans une récente étude, la probabilité de décès à la suite d’une hémorragie majeure avec le dabigatran vs la warfarine a été comparée, avec un risque non significativement plus faible de mortalité au cours des 30 jours suivant une hémorragie majeure avec le dabigatran comparativement à la warfarine[30].

 

Dans une sous-étude de l’étude RE-LY, le risque d’hémorragie majeure chez les patients nécessitant une chirurgie en urgence (i.e. dans un délai de 30 jours) était de 17,8 % avec le dabigatran 110 mg bid, 17,7 % avec le dabigatran 150 mg bid et 21,6 % avec la warfarine[31]. Dans l’étude ARISTOTLE, le risque d’hémorragie majeure après une intervention invasive était de 1,6 % chez les patients traités avec l’apixaban vs 1,8 % chez les patients traités avec la warfarine[32]. Ces résultats suggèrent que des mesures conservatrices standards (p. ex. arrêt rapide du médicament dans les cas d’hémorragie ou d’interventions chirurgicales imminentes, mesures de soutien, méthodes mécaniques de contrôler l’hémorragie et transfusions ­sanguines) sont suffisantes pour gérer l’hémorragie dans la vaste majorité des cas, que ce soit avec des NACO ou la warfarine. Des antidotes spécifiques des inhibiteurs de la thrombine ou des inhibiteurs du facteur Xa sont en cours d’évaluation et deviendront probablement finalement disponibles.

 

Les lignes directrices de la SCC5 accordent moins d’importance à la disponibilité d’un antidote spécifique de la warfarine ainsi qu’à l’expérience accumulée de son usage clinique et à la disponibilité d’un test simple et normalisé mesurant l’effet anticoagulant de la warfarine qu’à l’amélioration de l’efficacité et/ou de l’innocuité des NACO.

 

8) Quelles mesures pratiques puis-je prendre pour maximiser l’efficacité des NACO
    et réduire le risque qu’ils présentent?

 

Il est extrêmement important d’informer les patients de la nécessité de prendre leur NACO exactement selon les prescriptions. Étant donné qu’il n’existe pas de mesure « planifiée » d’observance thérapeutique comme cela peut être le cas avec la warfarine ni de surveillance de l’INR, les patients doivent être informés et éduqués sur la nécessité d’observer strictement la posologie prescrite et d’éviter de manquer des doses. Pour les médicaments pris deux fois par jour (dabigatran, apixaban), il faut inclure des instructions sur la marche à suivre en cas de doses manquées (prendre la dose manquée s’il s’est écoulé six heures, autrement attendre la prochaine dose prévue) pour le médicament recommandé à posologie uniquotidienne (rivaroxaban), souligner le moment recommandé pour la prise du médicament pendant les repas, de préférence à l’heure du dîner. Manquer une dose d’un médicament à posologie uniquotidienne peut entraîner un intervalle de 48 heures entre les doses, et potentiellement une anticoagulation insuffisante.

 

Les patients devraient être informés de la possibilité d’un risque accru d’hémorragie avec l’association d’un AAS ou d’un anti-inflammatoire non stéroïdien et d’un anticoagulant, et ces médicaments doivent être évités à moins qu’ils soient absolument indiqués ou nécessaires. En particulier, l’AAS chez les patients recevant un NACO doit être réservé à des indications définies pour la prévention secondaire de la coronaropathie et n’est pas nécessaire ni indiqué pour la prévention primaire de la coronaropathie.

 

9) Ma patiente âgée de 70 ans est en bonne santé, excepté qu’elle est atteinte de FA.
    A-t-elle réellement besoin d’un anticoagulant? L’AAS est-il suffisant?

 

De tous les facteurs qui sont associés à un risque accru d’AVC en présence de FA, l’âge est le facteur de risque le plus important. Le risque d’AVC est double chez les patients âgés de 65 à 75 ans comparativement aux plus jeunes individus. Les femmes présentent un risque plus élevé que les hommes, même après ajustement en fonction d’autres facteurs de risque d’AVC. Les lignes directrices de la SCC5 et de la Société européenne de cardiologie recommandent une anticoagulation orale chez les patients âgés de plus de 65 ans, en particulier chez les femmes, même s’ils ne présentent pas d’autres facteurs de risque d’AVC (p. ex. hypertension, diabète, antécédents d’AVC ou d’accident ischémique transitoire, insuffisance cardiaque ou maladie vasculaire). L’AAS n’est pas extrêmement efficace pour prévenir l’AVC et entraîne un risque non négligeable d’hémorragie.

 

10) Mon patient semble ne pas souffrir cliniquement de FA et a été sous anticoagulant
      pendant un certain temps. Doit-on poursuivre le traitement indéfiniment?

 

Les lignes directrices actuelles recommandent généralement la prise d’un anticoagulant indéfiniment chez les patients atteints de FA n’étant pas due à une cause réversible, même s’ils ont un rythme sinusal stable. Cela s’explique par le fait que la FA récidivera généralement chez la plupart des patients présentant des antécédents et cela, de façon parfois imprévisible. Il est important de noter que les épisodes asymptomatiques de FA sont extrêmement courants chez les patients qui semblent ne pas présenter de récidives symptomatiques et qu’une surveillance électrocardiographique régulière et l’absence de symptômes n’assurent pas l’élimination ou l’absence de FA. C’est pourquoi, si un anticoagulant a été initié pour la prévention à long terme d’un AVC, il est presque toujours indiqué indéfiniment (sauf en cas d’hémorragie majeure ou de nouvelle contre-indication). Jusqu’à ce que d’autres données deviennent disponibles, les patients doivent être informés que la prescription d’un anticoagulant pour la prévention d’un AVC dans la FA est généralement à vie et particulièrement que l’ablation de la FA, qui peut être très utile chez certains patients, ne permet pas d’arrêter les anticoagulants indiqués précédemment.

 

Conclusion

 

Notre compréhension des avantages et des risques associés aux NACO évolue. La warfarine demeurera un anticoagulant fréquemment utilisé et utile dans un avenir prévisible. L’utilisation optimale des NACO exigera de comprendre leur pharmacologie, l’éducation détaillée et minutieuse des patients et la connaissance des données de pharmacovigilance post-marketing à mesure qu’elles deviennent disponibles. L’Association européenne du rythme cardiaque a publié un guide pratique très utile sur l’usage des NACO[33], et ce guide décrit en détail selon une approche fondée sur une liste de contrôle simple, les stratégies pour assurer une utilisation sûre et efficace de ces agents pendant la période de suivi.

 

 

Le Dr Dorian est Professeur de Médecine, Université de Toronto, et Division de Cardiologie, Hôpital St Michael, et au Keenan Research Centre for Biomedical Science du Li Ka Shing Knowledge Institute de l’Hôpital St Michael, Toronto, Ontario.

Références

 

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L’élaboration de cette publication a bénéficié d’une subvention à l’éducation sans restrictions de

Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée

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